Sept familles, sept territoires, et du rififi
Courrier international
Selon le journaliste Ricardo Ravelo, spécialiste des cartels, les trafiquants ont réussi à infiltrer toute la société mexicaine, y compris l’armée. Doté d’un grand pouvoir, surtout de corruption, et possédant de multiples visages, le narcotrafic non seulement a infiltré les hautes sphères de la politique mexicaine, mais s’est implanté, parfois de façon subtile et parfois avec une violence asservissante, dans la conscience de la société. Le trafic de stupéfiants a débordé les forces censées le combattre et envahi tous les secteurs : on trouve son empreinte dans les écoles, la police, les campagnes, l’industrie et même dans l’ultime maillon de la sécurité, l’armée, à qui le président Calderón a confié des missions politiques et policières qui dépassent les limites de ses attributions constitutionnelles. Pris entre deux feux – la nécessité de légitimer son élection et le niveau élevé de corruption et de violence liées au narcotrafic qu’il a héritées de Vicente Fox –, Felipe Calderón a été forcé de rechercher le soutien de l’armée comme aucun autre président dans l’histoire récente du pays. Dix jours après son entrée en fonctions, pressé d’obtenir une approbation sociale dont il avait un besoin urgent, il a annoncé [le 11 décembre 2006] le lancement de l’opération Michoacán. Celle-ci s’est étendue par la suite sous d’autres noms à l’ensemble du territoire. Pour atteindre son objectif, le président s’est soumis au pouvoir militaire. Calderón a non seulement revêtu l’uniforme vert olive, montrant ainsi qui prendrait la direction des opérations, mais il a accordé aux militaires un large pouvoir pour combattre la délinquance organisée (et le trafic de stupéfiants continue dans tout le Mexique malgré cela).
Pendant qu’on affinait en haut lieu les modalités du déploiement des soldats dans divers Etats, la violence engendrée par le narcotrafic s’emparait du Michoacán, la terre natale du président. Stratégique pour la plupart des cartels, cette région excite le plus leurs convoitises après le Tamaulipas [dans le Nord-Est], l’Etat frontalier le plus commode pour se livrer au trafic de stupéfiants. Par un coup du sort, Calderón doit donc gouverner avec une nouvelle carte du narcotrafic, dans laquelle son Etat natal a été transformé en abattoir par les gros bonnets de la drogue. Le cartel du Milenio [qui a commencé à opérer dans les années 1990], dirigé par les frères Valencia Cornelio, n’est pas le seul à sévir dans le Michoacán. Attirés par sa situation géographique, diverses organisations originaires des Etats de Guerrero, de Jalisco et de Sinaloa s’y retrouvent en compétition. C’est dans le Sinaloa que sont apparues les bandes qui se disputent actuellement le contrôle du pays et celui des frontières. Elles savent que celle qui dominera cette zone dictera les règles. Le Michoacán étant une porte d’entrée pour la drogue en provenance de Colombie, le cartel du Golfe [l’un des deux plus importants cartels] a voulu le mettre à sa botte en se servant de sa branche armée, Los Zetas [composée d’anciens policiers et de militaires devenus les sicaires du cartel, voir CI n° 866, du 7 juin 2007]. Joaquín “El Chapo” Guzmán, surnommé el capo consentido [le “capo gâté” – chef du second grand cartel, le cartel de Sinaloa], a lui aussi voulu se tailler un territoire dans le secteur. Et, comme cela ne lui suffisait pas, il a aussi occupé le Guerrero et le Jalisco. Il a également pris pied dans le Colima et le Nuevo León et réalisé une belle percée dans le Tamaulipas, où il a avait déclaré la guerre à Osiel Cárdenas Guillén [chef du cartel du Golfe, arrêté en mars 2003 et extradé vers les Etats-Unis en janvier 2007]. Car le Michoacán est un endroit idéal pour réceptionner les cargaisons de drogue. La majeure partie arrive par le port de Lázaro Cárdenas ou par l’une des nombreuses routes qui relient l’Etat au reste du pays.
Seigneur et maître du cartel du Golfe, ancien indicateur de la police judiciaire fédérale, Osiel Cárdenas a fait ses débuts dans le trafic de drogue à l’arrivée au pouvoir [en 1998] du gouverneur Tomás Yarrington Ruvalcaba [PRI] dans l’Etat de Tamaulipas. Les six années de Ruvalcaba ont représenté la meilleure protection dont ait jamais bénéficié un parrain pour constituer une organisation criminelle. Morceau par morceau, Osiel a construit son cartel et pris la tête de la deuxième génération de cette mafia dont les origines remontent aux années 1930 et 1940. Il s’est hissé au sommet à coups de trahisons et d’assassinats.
Malgré son emprisonnement et l’arrestation de quelques seconds couteaux, la structure initiale du cartel du Golfe, renforcée par le soutien armé des Zetas (qui ont semé la terreur dans tout le pays), n’a jamais changé. L’organisation a cependant connu une crise interne due à la déchéance de certains de ses membres qui ont fini par céder sous les effets soit de la drogue, soit des pressions et des attaques d’autres organisations plus fortes qui voulaient s’installer dans le Tamaulipas ou s’en emparer.
à Tijuana, la police sert depuis trente ans les intérêts des narcos
Tijuana [située à la frontière américano-mexicaine dans l’Etat de Basse-Californie] vit pour sa part l’époque la plus prospère de son histoire récente selon Víctor Clark Alfaro, directeur du Centro Binacional de Derechos Humanos Fronterizos [centre binational des droits de l’homme à la frontière] et observateur aussi critique qu’assidu. Et de nombreux rapports et études de société, ajoute-t-il, montrent que, si le cartel de Tijuana continue à prédominer et à se développer autant à l’intérieur qu’à l’extérieur des frontières mexicaines, c’est grâce à la loyauté historique de la police envers ses parrains. Car la police de Tijuana sert les intérêts des narcos depuis trente ans déjà. Dans un premier temps, elle a protégé les activités des Arellano [chefs du cartel de Tijuana]. Mais, aujourd’hui, la présence de plus en plus importante des cartels de Juárez et de Sinaloa sème la zizanie : certains policiers sont à la solde de l’organisation locale, d’autres à celle de ses rivales. Cela explique les règlements de comptes et la violence qui s’abat actuellement sur les forces de sécurité, qui se battent pour décrocher le marché de la protection des narcos.
Une anecdote récente vient illustrer les rapports qu’entretiennent les trafiquants et la police de Tijuana : début 2006, Iván de Jesús Rodríguez Martínez et son complice Eduardo Moreno Gutiérrez sont arrêtés par l’armée. Ils sont accusés d’être mêlés à divers enlèvements et disparitions. Pendant l’interrogatoire, Rodríguez Martínez crache le morceau : “Le cartel [de Tijuana] a acheté plusieurs membres de la police municipale.”
L’hégémonique et puissant cartel de Tijuana commence donc à avoir de la concurrence sur son territoire. La ville frontalière est le bastion le mieux tenu de l’organisation, et elle a résisté pendant de nombreuses années aux tentatives de pénétration des autres groupes. Selon Clark Alfaro, les attaques contre les hauts fonctionnaires de la police sont le fait de rivaux de la famille Arellano, comme Joaquín “El Chapo” Guzmán, qui est l’un des capos les plus importants du Mexique et dont l’organisation – le cartel de Sinaloa – a compris que la force du cartel de Tijuana réside dans la protection que lui fournit la police.
* Auteur de plusieurs livres sur la mafia mexicaine. Ce texte est un extrait de son dernier livre, Herencia maldita (L’héritage maudit), Grijalbo, juin 2007. Ricardo Ravelo*
Proceso
Les 7 familles BENJAMIN ARELLANO FÉLIX
L’un des chefs du Cartel de Tijuana. Arrêté le 9 mars 2002.
OSIEL CÁRDENAS GUILLÉN.
Chef du cartel du Golfe. Extradé aux Etats-Unis en janvier 2007.
JOAQUIN GUZMÁN LOERA dit “El Chapo”. Chef du cartel de Sinaloa, évadé en janvier 2001.
AMADO CARRILLO FUENTES
Chef légendaire du cartel de Juárez, mort en juillet 1997.
ARMANDO VALENCIA CORNELIO
Chef du cartel du Milenio. Arrêté le 15 août 2003.
ADAN AMEZCUA CONTRERAS
Un des chef du cartel de Colima, dit le “roi de la métamphétamine”.
PEDRO DÍAZ PARADA
Principal trafiquant de marijuana. Deux fois arrêté, deux fois évadé.
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