Dix ans après la tuerie d'Acteal, au Chiapas, une polémique divise les Mexicains
Le monde
Triste Noël à Acteal. Il y a dix ans, dans ce hameau du Chiapas (sud), une tragédie frappait d'horreur le Mexique : 45 Indiens tzotziles, en majorité des femmes et des enfants, ont été tués par des groupes paramilitaires. Le massacre a duré des heures, par balles et par armes blanches, mais la police et l'armée, cantonnées à proximité, ne sont pas intervenues.
Ceux qui ont confessé leurs crimes disent qu'ils voulaient venger la mort, le 17 décembre 1997, d'un paysan fidèle comme eux au vieux Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), alors tout-puissant au Chiapas comme à Mexico. Il s'agissait d'une des 22 personnes tuées par leurs adversaires zapatistes, affirment-ils, au cours de l'escalade qui a miné la municipalité de Chenalho, en 1996 et 1997, avant d'exploser à Acteal.
Pour nombre de Mexicains, ce massacre visait en fait les Zapatistes, avec lesquels les autorités avaient signé en 1994 un accord de cessez-le-feu mais dont elles voulaient combattre l'influence. Il aurait été planifié en haut lieu, dans l'entourage du président Ernesto Zedillo. L'hebdomadaire Proceso n'a-t-il pas révélé, début 1998, l'existence d'un "plan de contre-insurrection" au Chiapas ?
Il faut aller à Acteal, en contrebas de la route qui mène de San Cristobal à Pantelho, pour discerner les lignes de fracture qui ont mené à la catastrophe. Deux volées de marches conduisent à l'esplanade du village - à l'époque, un campement de réfugiés chassés par les violences, aujourd'hui une communauté soudée par le martyre, dont la flamme est entretenue par l'Eglise.
THÈSE INÉDITE
Une quinzaine de chalets de bois sont éparpillés autour de la maison en dur où se réunissent les élus de la communauté, jambes nues sous leur chemise blanche, la tête ceinte du chapeau couvert de longs rubans multicolores. Une petite église est en construction sur la butte. Derrière elle, la chapelle de bois, au sol jonché d'aiguilles de pin, où priaient des membres des Abeilles lorsque les attaquants ont commencé à tirer sur eux, avant de les achever dans une combe où l'on a retrouvé la plupart des cadavres. Le plus petit était celui d'un bébé, transpercé par la même balle que sa mère.
Sur les parois de la chapelle, et même sur la Vierge de cire, dont le châle brodé semble étoilé de sang, on distingue les impacts des balles. Des survivants se souviennent avoir vu, depuis leur cachette, la cime des arbustes hachée par des projectiles de gros calibre. "La police était stationnée à 500 mètres à peine, dans l'école d'Acteal Centro qui est une communauté zapatiste. Ils ont dit n'avoir rien entendu !", s'indigne Vicente Jimenez, qui a perdu ce jour-là sa femme et une de ses filles.
Une expertise, demandée par la Commission nationale des droits de l'homme, conclut que les détonations étaient audibles depuis le campement militaire de Majomut, installé 2 kilomètres plus haut, près d'une carrière de sable - l'une des rares ressources non agricoles de la municipalité.
La complicité des autorités se lit dans le paysage, mosaïque où se côtoient groupes zapatistes et militants du PRI, postes militaires, hameaux catholiques et évangéliques. Les familles des victimes et celles des bourreaux empruntent la même route. Et des deux côtés, on réclame justice. L'Etat mexicain est responsable "par action, par omission, et parce qu'il a retardé ou refusé l'action de la justice", accusent l'ancien évêque de San Cristobal, Samuel Ruiz, et son ancien assesseur Raul Vera, évêque de Saltillo.
Dans le camp adverse, les avocats des 80 personnes encore emprisonnées pour le massacre assurent que la plupart de leurs clients sont innocents, piégés par un appareil judiciaire qui cherchait des boucs émissaires.
La polémique s'est enflammée avec la publication, cet automne, dans la revue Nexos, de trois longs articles sur Acteal rédigés par l'écrivain Hector Aguilar Camin. Il y soutient la thèse, jusqu'alors inédite, d'une "bataille" entre paramilitaires et zapatistes qui aurait dégénéré en massacre des civils. Tandis que la droite se réjouit de voir "déboulonner le dogme", la gauche zapatiste s'inquiète que cette offensive autour de la mémoire puisse en préparer une autre - contre ses propres communautés.