le combat contre les cartels de la drogue, ne serve à réprimer les manifestations populaires.
RFI
Lutte contre la drogue et militarisation du pays
(Photo : P. Gouy / RFI)
Création d’une force spéciale
Lorsqu’il arrive au pouvoir, mal élu, avec des suspicions de fraudes électorales, sans majorité au Parlement, le président Calderon fait appel à l’armée pour lancer son combat contre la drogue afin de puiser dans cette action une certaine légitimité. Cependant, cette stratégie semble atteindre ses limites : le nombre de morts ne fait qu’augmenter et les organisations criminelles ne montrent aucun signe d’affaiblissement. Le président persiste cependant dans cette voie : il a annoncé la création d’une force spéciale d’action fédérale composée de 3 500 militaires, équipés d’un matériel sophistiqué, mis directement sous ses ordres. Cette force spéciale, qui entrera en action dans 3 mois, pourra intervenir partout et sera à la disposition des 31 Etats fédéraux qui pourront l’utiliser pour rétablir l’ordre et la sécurité publique.
Dans la Tamahumara, de nombreux indigènes sont contraints par les trafiquants à semer du cannabis ou de l'amapola.(Photo : P. Gouy / RFI)
D’autres stratégies
De nombreux Mexicains estiment que c’est une erreur d’avoir déclaré cette guerre aux narcos, qu’il aurait mieux valu élaborer préalablement un projet régional avec l’aide des Etats-Unis, associant les pays d’Amérique centrale. Pour d’autres, le combat devrait se limiter à la lutte contre la consommation interne, laissant aux Américains la responsabilité d’empêcher les trafics à destination de leur pays. C’est ce que faisait le PRI, le parti de l’ancien régime, qui négociait une paix intérieure avec les cartels.
La gauche parlementaire propose pour lutter contre le trafic de drogue, une tout autre politique sociale avec un développement du marché intérieur pour enrayer la pauvreté, terrain perméable aux cartels qui ont un immense pouvoir de corruption. Entre autres, il faudrait revoir les politiques agricoles. «En 18 ans, le crime organisé s’est emparé de 30 % des terres cultivables du Mexique faute de programmes de développement rural», estime Ricardo García Villalobos, président du Tribunal supérieur agraire.
D’autre part, l’ONU et la Commission nationale des droits de l’homme (CDNH) contestent l’utilisation de l’armée qui ne devrait pas réaliser des tâches qui incombent à la police. «Chaque fois que l’on a recours aux militaires pour des fonctions qui leur sont étrangères, on constate des abus contre des civils innocents» souligne José Luis Soberanes, le président de la CDNH. L’armée jouit en effet d’une impunité totale et n’hésite pas, comme dans le film Le Violon, à réprimer les paysans sans défense, à casser leurs maisons et à violer leurs femmes !
(Photo : P. Gouy / RFI)
Ce que peut masquer cette stratégie
Grâce à l’armée, qui donne malgré tout l’impression que Felipe Calderon contrôle le pays, on assiste à un durcissement de l’Etat. La tolérance n’est plus de mise, comme on a pu le voir avec les multiples condamnations d’opposants politiques, que ce soit celles des altermondialistes qui contestaient la venue de Georges W. Bush, ou celles des membres de mouvements sociaux comme celui de l’APPO à Oaxaca ou d’Atenco dans la banlieue de Mexico.
Raimundo Riva Palacio, dans son éditorial du 14 mai de l’Universal, dénonce que «par la voie de la légitimité publique, le gouvernement de Felipe Calderon a instauré de manière temporaire un état de siège dans certaines régions du Mexique. Et l’armée mexicaine, comme aux jours les plus infâmes de l’autoritarisme, foule aux pieds l’état de droit». L’éditorialiste Julio Hernandez ne peut s’empêcher, dans sa colonne de La Jornada, de parler du «Nouvel ordre calderoniste», mettant en abîme l’action des militaires et la campagne électorale dans les Etats. Il fait remarquer que l’armée a été déployée partout où l’opposition est implantée et où les échéances électorales sont proches : au Michoacán, au Veracruz, en Basse Californie, au Nuevo Léon et dans le Oaxaca. De nombreuses personnalités craignent également que la force spéciale nouvellement créée par Felipe Calderon, au-delà de son rôle dans le combat contre les cartels de la drogue, ne serve à réprimer les manifestations populaires.
par Patrice Gouy