Un échec populaire
Courrier international | ||||||||||||
BENOIT XVI AU BRÉSIL • "L'Eglise catholique d'Amérique Latine est orpheline" | ||||||||||||
La visite du pape au Brésil est un échec à tout point de vue. Benoit XVI n'a ni rameuté les foules, ni ouvert de nouvelles perspectives. Il n'a surtout rien compris à l'Amérique Latine, regrette La Jornada de Mexico dans son éditorial. | ||||||||||||
Un échec populaire, puisque les fidèles présents aux manifestations présidées par le pape allemand étaient bien moins nombreux que prévu et qu'on est évidemment resté à des lieues de la liesse populaire que suscitait dans la région son très charismatique prédécesseur polonais. Un échec institutionnel parce que Joseph Ratzinger n'a pas eu la capacité idéologique d'apporter à la Ve Conférence du Conseil épiscopal d'Amérique latine et des Antilles (CELAM) [qu'il a inauguré le 13 mai] les perspectives de modernisation qui sont pourtant une nécessité impérieuse pour la communauté catholique de cette région du monde. Et enfin, ce fut un échec de l'entendement : Benoît XVI a abondamment prouvé qu'il ne comprend pas, ou qu'il se fiche, des problèmes pressants des peuples de cette partie du continent américain. Le sous-continent est confronté à des drames toujours pas résolus: la pauvreté, les inégalités, la sous-éducation, l'insalubrité, la corruption, la discrimination des peuples amérindiens, les violations persistantes des droits de l'homme et la désagrégation du tissu social. Mais il doit aussi faire face à des phénomènes inédits, notamment une crise de la représentativité et de la légitimité des démocraties traditionnelles, la montée des violences ou encore l'émergence d'une diversité sociale que n'ont pas prévu les modèles institutionnels et juridiques. Dans un tel contexte, les exhortations de Benoît XVI à la préservation de soi-disant "valeurs morales universelles" comme la virginité, la chasteté ou le sacrement du mariage, sa diabolisation de l'avortement et de l'euthanasie, mais aussi son unique et puérile allusion au problème alarmant du narcotrafic ("Dieu demandera des comptes aux narcos") donnent fatalement une image de superficialité et même de frivolité, aussi ancrées soient-elles dans des dogmes théologiques médiévaux. Surtout, l'incongruité de ces messages n'est rien comparée à l'injure manifeste que constitue le mensonge historique sur l'évangélisation de l'Amérique qui, aux yeux du souverain pontife, "n'a, à aucun moment, entraîné une aliénation des cultures précolombiennes ni ne fut l'imposition d'une culture étrangère". Il serait absurde d'ignorer ou de minimiser l'incontestable composante catholique de la culture latino-américaine d'aujourd'hui, mais nier que cette composante a été imposée dans le sang et sur les ruines des cultures antérieures est aussi insultant que le sont ces ouvrages révisionnistes qui affirment que l'extermination des juifs par l'Allemagne nazie n'a jamais eu lieu. En tournant ainsi le dos à l'Amérique latine, l'ancien pourfendeur des théologiens de la libération tourne aussi le dos aux représentants de sa propre Eglise dans les pays de la région. Pour les prêtres et les évêques brésiliens, dont les fidèles sont passés de 89 à 64 % de la population en seulement 27 ans, il ne va pas être facile d'intégrer la consigne papale selon laquelle "l'Eglise ne fait pas de prosélytisme", ni de comprendre l'instruction qui voudrait confier le renouveau de l'institution catholique à "l'attraction du Christ" et à la "soif de Dieu" que Benoît XVI croit voir chez les Latino-Américains. Malgré la persécution impitoyable exercée au cours des décennies passées par Ratzinger lui-même contre la théologie de la libération et les religieux qui osaient donner la priorité aux pauvres, il existe encore au sein du catholicisme latino-américain des noyaux importants représentant une Eglise populaire et progressiste qui peut se faire entendre. Mais il est désormais évident que l'Eglise catholique d'Amérique latine est orpheline, sans orientation ni guide.
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