Partie de chasse à Ciudad Juárez
On avait deja publie quelque chose sur ce sujet (ici, ici et là ) mais un autre article apparu dans Le monde diplomatique sur le livre de Sergio González Rodríguez à propos des mortes de Juárez:
Partie de chasse à Ciudad Juárez
« A l’automne 1998, le corps d’une femme âgée d’une vingtaine d’années fut retrouvé dans une décharge de Ciudad Juárez. Les autorités avaient déjà découvert des cadavres à cet endroit. Comme la plupart des autres mortes, la dernière victime était une femme mince aux cheveux longs. » Ciudad Juárez, « excès de gens, excès de désert », carrefour de l’économie mondialisée où l’industrie de sous-traitance transnationale exploite une main-d’œuvre féminine bon marché, est l’un des plus grands pôles humains de la frontière Mexique - Etats-Unis (côté mexicain), le lieu de tous les dangers et de tous les vices.
Aussi prenant qu’un roman de série noire américain, le livre de Sergio González Rodríguez est une non-fiction littéraire qui met en scène un Mexique authentique et aussi réel que les victimes elles-mêmes. Des femmes assassinées selon le même scénario depuis quatorze ans : enlèvement, torture, sévices sexuels, mutilations et strangulation. Entre 1993 et 2007, près de cinq cents femmes ont connu le même sort, et des centaines d’autres sont toujours portées disparues (à mesure que les enquêtes s’intensifient, les corps retrouvés diminuent).
Au départ, il s’agirait de l’œuvre d’un psychopathe « tueur en série », mais un tel nombre de victimes, un tel acharnement, un tel sadisme barbare soulèvent des interrogations. S’agit-il de rituels sataniques ? De sacrifices humains pour le tournage de snuff movies (1) ? D’assassins qui tuent pour s’amuser ? D’un vaste trafic d’organes ou d’orgies perverses de narcotrafiquants ? Et si les prédateurs avaient fait de la misogynie une normalité ? « S’approprier le sexe féminin, torturer et disposer d’un corps relève ainsi d’une stratégie sexiste où le crime devient une forme d’érotisme. »
Au départ, le journaliste avance dans le noir. La multiplicité des éléments complique sa tâche pour assembler et reconstituer la réalité des faits. Puis, la découverte de huit corps aux alentours de ranchs appartenant aux narcotrafiquants éclaire les liens entre les homicides et la mafia. Elle-même liée au pouvoir local, aux autorités policières et aux plus hautes sphères du pouvoir. A mesure que le lecteur progresse, les liens entre la politique, la police, le crime organisé et les institutions judiciaires deviennent évidents. Intégrés politiquement, les narcotrafiquants sont protégés institutionnellement, récupérés économiquement et légitimés socialement. Un réseau de complicités se trouve ainsi au cœur de la question où « tous tirent les avantages de secrets partagés ».
Ecrivain et journaliste mexicain, auteur, entre autres, de La Noche oculta, El Momento preciso et Luna, luna, Sergio González Rodríguez, conseiller éditorial et chroniqueur pour les quotidiens La Jornada et La Reforma de Mexico, livre avec Des os dans le désert un témoignage littéraire. Son livre est un récit froid en hommage aux victimes, un travail risqué – l’auteur fut victime d’un attentat en 1999 – d’autant plus précieux et nécessaire que le silence et l’indifférence des autorités et de la société font de Ciudad Juárez un lieu où « la femme est un être qu’on peut frapper et violer à loisir ».
Paola Orozco
Des os dans le désert, de Sergio González Rodríguez, traduit de l’espagnol par Isabelle Gugnon, Passage du Nord-Ouest, Albi, 377 pages, 23 euros.(1) Les snuff movies (ou snuff films) sont des films courts qui mettent en scène un meurtre (supposé) réel, parfois précédé de pornographie avec viols de femmes ou d’enfants.
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