Berlin, la chute du mur n'annonçait pas
"la fin de l'Histoire". Elle préludait à d'autres soubresauts, à d'autres déchirures, comme en témoignent les barrières de béton et de barbelés construites depuis 1989 au nord du Rio Grande, à l'ouest du Jourdain ou à l'est du Tigre, pour tarir le flot d'immigrants clandestins ou combattre le terrorisme. Murs de la haine et de la peur, de l'humiliation et de l'impuissance. Contagion du chacun chez soi à l'heure où la mondialisation est censée effacer les frontières.
La clôture de sécurité séparant Israël de la Cisjordanie aura 730 kilomètres. Le mur américain courant de la Californie au Texas, au nord du Mexique, 1 120 kilomètres. Celui de Bagdad, 5 kilomètres. Les Américains le construisent pour isoler l'un des bastions sunnites les plus volcaniques de la capitale.
Partout dans le monde, des murs dressent une nation, une communauté religieuse ou un groupe ethnique contre un autre. L'Inde veut rendre infranchissable sa frontière avec le Pakistan dans la région du Cachemire. La Chine a installé une zone de sécurité à proximité de la Corée du Nord. Celle-ci est séparée de la Corée du Sud par une ligne de démarcation. La Thaïlande projette d'ériger une clôture étanche entre son Sud musulman et la Malaisie du Nord.
L'Espagne protège de barbelés ses enclaves marocaines de Ceuta et Melilla. L'Arabie saoudite voudrait rendre imperméables ses frontières avec le Yémen (au sud) et l'Irak (au nord). Une "ligne verte" coupe Chypre en deux - grec au sud, turc au nord. A Belfast, Portadown et Londonderry, une cinquantaine de "lignes de paix" séparent aujourd'hui encore catholiques et protestants...
Pour quels résultats ? En maintenant à distance les Huns, la Grande Muraille de Chine (IIIe siècle avant J.-C.) a d'abord tenu ses promesses, tout comme le mur d'Hadrien, érigé au IIe siècle par les Romains entre l'Angleterre et l'Ecosse. Mais, petit à petit, le temps a fait son oeuvre. A l'échelle des siècles, des demi-siècles parfois, les murs finissent par tomber. Un jour, la réunification s'impose, les migrations reprennent et la paix s'installe. Comme le souligne Bui Xuan Quang, professeur de relations internationales à l'université Paris-X, "retarder n'est pas empêcher".
Les murs divisent des peuples que l'histoire et la géographie ont condamnés à vivre ensemble. Allemands de l'Est et de l'Ouest. Sunnites et chiites à Bagdad. Israéliens et Palestiniens en Cisjordanie. Américains des deux rives du Rio Grande, à l'image de leur passé commun : avant de hisser la bannière étoilée, le Texas et la Californie étaient mexicains.
Les murs disent leur époque : la guerre froide jusqu'en 1989, l'après 11-Septembre, les écarts de développement. George W. Bush est le propagateur de ce virus d'exclusion. Le président américain laisse les Israéliens attiser le désespoir des Palestiniens. C'est lui qui, en octobre 2006, a signé le Secure Fence Act qui cadenasse la frontière américaine avec le Mexique. Et lui encore qui a ordonné aux GI d'isoler les sunnites installés dans le quartier d'Adamiya, au nord de Bagdad.
Le mur israélien a été déclaré illégal par la Cour internationale de justice de La Haye, sans fléchir le gouvernement Olmert. Ce qui compte pour celui-ci, c'est l'étanchéité de cette clôture. Elle a tari les infiltrations de terroristes palestiniens, qui, pour la plupart, venaient de la rive ouest du Jourdain. Ce nouvel "apartheid" - l'expression est de l'ancien président américain Jimmy Carter - avait été testé avec succès à Gaza, dont très peu de kamikazes étaient originaires, parce que les Palestiniens candidats au "martyre" y sont depuis longtemps bouclés par les Israéliens.
La construction d'un mur en Cisjordanie, à la frontière mexicaine ou à Bagdad humilie les emmurés. Elle sème la zizanie chez les "emmureurs". Le premier ministre irakien, Nouri Al-Maliki, tout allié qu'il est de George W. Bush, s'y est opposé en vain. Il craint que le quartier d'Adamiya devienne un ghetto, ajoutant un peu plus au chaos. Les Mexicains, eux aussi alliés des Etats-Unis, dénoncent d'une même voix le mur que les "gringos" construisent à leur frontière.
"MR. GORBACHEV, TEAR DOWN THIS WALL !"
Le président mexicain, Felipe Calderon, le dit sans détours : "Les murs ne résolvent rien (...). Il serait plus bénéfique pour le développement de nos pays de construire 1 kilomètre d'autoroute dans l'Etat de Zacatecas ou celui de Michoacan que d'édifier 10 kilomètres de mur en Arizona." C'est aussi l'avis de la ministre des affaires étrangères mexicaine. Patricia Espinosa Cantellano soutient que le resserrement des liens économiques entre les deux pays - ils sont unis par un accord de libre-échange, l'Alena - et l'égalisation progressive de leurs niveaux de vie sont le seul moyen de stopper le flux des immigrants clandestins.
Décidé par une majorité républicaine, le mur qui sort de terre à la frontière mexicaine divise la nouvelle majorité démocrate. Avant d'être élue présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi (Californie) avait voté contre. Seuls, pour l'instant, 540 des 1 120 kilomètres de ce mur ont été financés. Une échappatoire qui annonce peut-être de nouvelles économies.
La fin du mandat de George W. Bush, en 2008, incitera-t-elle les Etats-Unis à faire marche arrière ? Les républicains, qui, sous la présidence de Ronald Reagan, ont tant oeuvré à la chute du mur de Berlin, ne jurent plus aujourd'hui que par cette solution, qui n'en est pas une. L'apostrophe de l'ancien président à son homologue soviétique, en juin 1987, est passée à la postérité : "Mr. Gorbachev, tear down this wall !" ("Monsieur Gorbatchev, abattez ce mur !")
L'histoire du mur de Berlin en dit long pourtant. A l'instar du mur israélien et de celui en construction à la frontière mexicaine, il a d'abord fait la preuve de son efficacité. La situation était en train d'échapper à Khrouchtchev et à Walter Ulbricht, ses initiateurs. Rien qu'au mois de juillet 1961 - le Mur fut édifié dans la nuit du 12 au 13 août -, trente mille Allemands de l'Est étaient passés à l'Ouest. La RDA se vidait de ses forces vives. Le Mur mit fin à cette hémorragie, mais il exacerba le désir de liberté des emmurés.
L'histoire finit bien. C'est à Heiligendamm, en ex-RDA, qu'une "Ossie" devenue la chancelière de 82 millions d'Allemands a organisé le dernier G8. Vladimir Poutine aurait pu y faire part à George W. Bush de son expérience d'ex-agent du KGB en poste en Allemagne de l'Est. A savoir que l'on n'entrave pas le cours de l'Histoire avec du béton et des barbelés.
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