Drogue : montée en puissance des cartels mexicains
C'est une lèpre qui ronge la société mexicaine, s'étend à presque toute la zone frontalière avec les Etats-Unis et menace l'Europe. En dix ans, les cartels de drogue mexicains ont nettement accru leur contrôle des marchés extérieur et intérieur, leur puissance de feu, leurs bénéfices - et leur capacité à corrompre les institutions. Ils représentent le plus grave défi que le Mexique, pays à la démocratie encore fragile, ait eu à affronter depuis un siècle.
De simples intermédiaires au service des gangs colombiens, les Mexicains sont devenus les maîtres d'un trafic sans cesse plus diversifié (marijuana, cocaïne, héroïne), avec enlèvements contre rançons, contrebande d'armes ou de carburant. Un récent rapport du département américain de la justice souligne leur hégémonie dans la fabrication, puis la distribution, aux Etats-Unis, des méthamphétamines, euphorisants de synthèse moins chers que les stupéfiants classiques, mais plus dangereux.
Malgré les mesures prises par le Mexique pour restreindre l'importation des précurseurs chimiques tels que la pseudo-éphédrine, ces produits continuent d'arriver - sous couvert de cargaison légale - d'Allemagne, d'Inde, de Chine et parfois d'Afrique centrale. En mars 2007, la police a découvert, à Mexico, 207 millions de dollars (141 millions d'euros) en liquide dans la villa d'un trafiquant de méthamphétamines d'origine chinoise, Zhenli Ye Gon : une somme révélatrice de la force de frappe financière des Mexicains.
HAUSSE DE LA CONSOMMATION
Aux Etats-Unis, les cartels recrutent des bandes de délinquants latinos ou afro-américains afin d'assurer la vente de la drogue en gros et au détail. Pour pénétrer le marché européen, le cartel de Sinaloa utilise les Colombiens, leur tête de pont sur le Vieux Continent.
Au Mexique, la consommation est en hausse, un problème longtemps négligé par les autorités, qui dépensent seize fois plus pour réduire l'offre que dans la prévention. Les narcos ont également profité du relatif abandon des campagnes mexicaines : le tribunal supérieur de l'agriculture estimait, en octobre 2007, qu'un tiers des terres cultivées étaient consacrées aux plantations illégales de cannabis et de pavot (plus de 9 millions d'hectares, contre 8,2 millions pour le maïs). Les paysans reçoivent jusqu'à 400 000 pesos (26 000 euros) par hectare des trafiquants, contre 12 000 pesos par hectare (800 euros) quand ils cultivent du maïs.
Dès son arrivée au pouvoir, en décembre 2006, le président Felipe Calderon a voulu frapper l'opinion en déployant l'armée dans les régions où les trafiquants avaient conquis le contrôle du territoire. L'année 2007 a vu des saisies record de drogue, la détermination affichée par le Mexique incitant l'administration américaine à mieux partager ses renseignements.
En réaction, les cartels ont multiplié les attentats, décapitations, mutilations ou vidéos d'"exécutions", afin de donner l'impression que le pays devient ingouvernable. Les forces de sécurité paient un prix élevé, soit parce qu'elles coopèrent avec un groupe criminel, soit parce qu'elles entravent ses activités. Sur les quelque 2 500 victimes du narcotrafic en 2007, 261 étaient des policiers et 35 des militaires.
Plus inquiétant, les cartels ont réussi à imposer "leurs" candidats à la tête de plusieurs municipalités du Michoacan (Centre) et du Tamaulipas (Nord-Est). Le politicien de gauche Juan Antonio Guajardo est mort criblé de balles avec cinq autres personnes, le 29 novembre 2007, pour avoir osé dénoncer la manipulation du scrutin et la complicité du gouverneur de Tamaulipas, Eugenio Hernandez, membre du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), avec les narcotrafiquants.
Au niveau local, aucune force politique - des conservateurs aux Verts en passant par le Parti de la révolution démocratique (PRD, gauche) - ne semble échapper à la pression des cartels.
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