Remesas
Le Mexique cherche à faire fructifier les transferts d'argent massifs de sa population émigrée aux Etats-Unis
Le Mexique est devenu numéro un mondial pour les transferts de devises des émigrés vers leur pays d'origine, dépassant la Chine. Mais pour les experts, ce "record" reflète surtout l'incapacité de l'économie mexicaine à créer des emplois en nombre et en qualité suffisants pour retenir les forces vives qui partent travailler à l'étranger, dans leur grande majorité aux Etats-Unis.
Fin janvier, la Banque centrale du Mexique a annoncé que les transferts de devises, les "remesas", ont atteint 23,54 milliards de dollars (18,16 milliards d'euros) en 2006, en augmentation de 15 % par rapport à 2005. Ils sont aujourd'hui la deuxième ressource du pays, derrière les revenus pétroliers, qui ont rapporté 34,74 milliards de dollars en 2006, mais loin devant les investissements directs étrangers (un peu moins de 17 milliards de dollars).
Dans une enquête publiée vendredi 2 février, le Fonds multilatéral d'investissement (Fomin) de la Banque interaméricaine de développement (BID) estime pour sa part que le montant des "remesas" serait proche des 25 milliards de dollars, contre 14,5 milliards de dollars en 2003 (+ 72 %). Car même si la plupart de ces transactions se font par voie électronique, il faut tenir compte des envois d'argent liquide par la poste ou de la main à la main, a rappelé Sergio Bendixen, directeur d'une société de conseil spécialisée dans les thèmes migratoires, lors d'un récent colloque à Mexico.
"Il n'y a là aucune raison de pavoiser, souligne Donald Terry, le directeur du Fomin. Si un pays est numéro un dans ce domaine, cela signifie que son économie ne génère pas assez d'emplois et que la pression sociale pousse les gens à s'exiler."
La Banque centrale mexicaine a admis que le phénomène migratoire était sans doute "beaucoup plus important" que ce que l'on croyait, comme l'indiquent les résultats du dernier recensement : la population a cessé de croître dans plusieurs Etats, alors que la natalité est restée stable. Cette anomalie démographique ne peut s'expliquer que par le départ d'un nombre croissant d'hommes et de femmes.
BESOINS DE PREMIÈRE NÉCESSITÉ
Selon l'enquête réalisée à la fin de l'été 2006 par le Fomin, ceux qui ont choisi l'émigration gagnaient en moyenne 150 dollars par mois au Mexique, et en obtiennent 900 aux Etats-Unis - d'où proviennent 97 % des "remesas", envoyées par quelque 8 millions de Mexicains (sur les 12 millions vivant à l'étranger). Plus de 4 millions de familles bénéficient de cette manne, utilisée à 57 % pour des besoins de première nécessité : alimentation, vêtements, santé, logement.
Les autorités mexicaines, qui ont pris récemment conscience de l'impact du phénomène, s'efforcent de canaliser ces flux financiers vers des investissements plus durables. Le système "3 × 1" permet de multiplier par trois, grâce aux aides publiques, chaque dollar apporté par des émigrés désirant créer une coopérative ou construire pour la collectivité. Depuis deux ans, un Mexicain résidant aux Etats-Unis peut aussi contracter un emprunt hypothécaire afin d'acquérir une propriété dans son pays d'origine.
En 2006, le Mexique a vu son produit intérieur brut (PIB) croître de 4,8 %, la meilleure performance depuis six ans, grâce aux recettes pétrolières. Pourtant, même avec une croissance soutenue au Mexique, la différence de salaires au sud et au nord du Rio Grande continuera de pousser les candidats à l'émigration vers la terre promise "pendant vingt ou trente ans", prédit Jesus Cervantes, directeur du département de mesure économique de la Banque centrale.
L'économiste Arnulfo Gomez, de l'Université Anahuac, dresse quant à lui un tableau accablant : "Nous vivons aujourd'hui à 23,18 % de ce qu'était notre niveau de vie en 1975." L'argent des émigrés ne peut compenser cette chute brutale : alors qu'en 1970, souligne M. Gomez, les niveaux de vie de l'Espagne et du Mexique étaient à peu près équivalents, en 2005 ils étaient respectivement, par habitant, de 26 163 dollars et de seulement 7 390 dollars.
Or, dit-il, depuis l'adhésion au traité de libre-échange avec les Etats-Unis et le Canada, il y a douze ans, "nous avons reçu, à travers les "remesas", des sommes comparables aux fonds d'aide régionale que l'Espagne a reçus de l'Union européenne".
Mais le Mexique, à la différence de l'Espagne, n'a pas réussi à redistribuer équitablement les revenus, les inégalités ne cessant de s'accentuer. La masse salariale y représente le tiers du PIB : moitié moins que dans un pays développé.
Une étude de la Banque Mondiale publiée le 28 juin révèle les conséquences des flux migratoires. Compte rendu Pays riche et vieux cherche immigrés |
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