Feuilletons = comunication et liberté d'expression
Amérique latine : tempête sur les médias, par Paulo A. Paranagua
Outre l'autoritarisme du président vénézuélien, le lieutenant colonel Hugo Chavez, la fermeture de Radio Caracas Television (RCTV) reflète le malaise et la méfiance suscités par les médias en Amérique latine. En 2004, un rapport du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) sur "La démocratie en Amérique latine" s'en faisait déjà l'écho. En effet, les dirigeants de premier plan consultés par le PNUD voyaient dans le rôle croissant des médias "une restriction au processus démocratique".
Est incredible, quand Chavez ferme une chaine à telenovelas (feuilletons), c'est contre la liberte d'expresion! Et quand une chaine televisa n'informe pas, fait que transmetre en boucle les spots du Calderon, c'est de la liberte d'expresion!
En Argentine, comme au Venezuela, la méfiance à l'égard de la presse amène le gouvernement de Nestor Kirchner à restreindre l'accès à l'information. En Equateur, le président Rafael Correa a qualifié les médias de "misère de l'humanité". "L'Etat vénézuélien n'a pas renouvelé une fréquence (la concession de RCTV), cela ne signifie pas qu'il limite la liberté d'expression", a estimé sa porte-parole.
En Bolivie, le président Evo Morales a assuré qu'il ne fermerait "jamais" une chaîne, mais il a affirmé à plusieurs reprises que les médias sont ses pires ennemis, et il a menacé d'"expulser" du pays La Razon, le meilleur quotidien bolivien, sous prétexte que celui-ci appartient au groupe espagnol Prisa (éditeur d'El Pais et actionnaire du Monde).
Comment en est-on arrivé à une telle situation, vingt ans après la fin des dictatures militaires ? Comment des journalistes et des médias engagés, à leurs risques et périls, dans la lutte pour la démocratisation font-ils l'objet d'une perception aussi négative ?
Malgré cette dépréciation, l'Amérique latine possède 1 200 écoles ou facultés de communication, avec 1 million d'étudiants et 60 000 professeurs. Pour eux, le Vénézuélien Antonio Pasquali, auteur de Communication et culture de masses et de bien d'autres ouvrages, est une référence majeure. A son avis, le malaise actuel trouve son origine dans "l'abus de position dominante" de la télévision commerciale, en l'absence de véritables services publics. La toute-puissance de groupes médiatiques régis par la "loi du profit" ne s'est accompagnée d'aucune forme d'autorégulation.
"Les Etats-Unis ont créé une chaîne publique, le Public Broadcasting System (PBS), mais pas l'Amérique latine", rappelle M. Pasquali, qui déplore cette "exception latino-américaine". Contrairement à PBS, les chaînes publiques des grands pays latino-américains comme le Brésil ou le Mexique ne relèvent pas de la fédération mais des Etats. Résultat, le service public n'a pas été en mesure de faire face à la concurrence ni d'exercer un rôle régulateur. Les grands groupes - comme Globo au Brésil, Televisa au Mexique, RCTV et Cisneros au Venezuela ou Clarin en Argentine - ont évolué sans cahier des charges.
La formation des professionnels à l'université n'a pas amélioré la qualification des journalistes. Dans la presse écrite, la multiplication des columnists, ces chroniqueurs à la mode américaine, a entraîné une profession à deux vitesses, avec des commentateurs payés à prix d'or, dont les opinions sont reproduites dans des dizaines, voire des centaines de journaux, à côté d'une masse de journalistes sous-rémunérés et réduits à la portion congrue d'une information étriquée.
Au Brésil, en 2005, lorsque le gouvernement et le Parti des travailleurs (PT) du président Luiz Inacio Lula da Silva ont été ébranlés par le scandale dit du "mensalao" - à cause des mensualités qui auraient été versées à des députés de partis alliés - une partie de la gauche a crié au "coup d'Etat médiatique". La presse brésilienne a rendu compte des révélations des commissions parlementaires d'enquête de manière parfois abusive, mais il y avait bien corruption et financement occulte des campagnes électorales. Et, en dépit des prédictions des courants radicaux du PT, le déballage médiatique n'a pas empêché la réélection du président Lula, en 2006.
RECHERCHE DU CONSENSUS
"Souvent, après une flopée de mauvaises nouvelles, je suis affligé, a confié le président brésilien, le 28 mai, au lendemain de la disparition de RCTV. Mais je serais bien plus désolé s'il n'y avait pas de démocratie au Brésil, si la presse ne pouvait pas dire ce que bon lui semble, quand elle veut, avec la certitude d'être jugée par le seul arbitre, les auditeurs, téléspectateurs et lecteurs." Le secrétaire à la communication du président Lula, Franklin Martins, a renchéri. "Critiquer le gouvernement fait du bien au pays et au gouvernement, a-t-il précisé. La presse n'est pas là pour tresser des louanges au gouvernement. Si elle abuse des critiques, c'est au lecteur, à l'auditeur et au téléspectateur de juger. Le contrôle externe de la presse doit être exercé par la société, pas par le gouvernement."
La présidente chilienne Michelle Bachelet est sur la même longueur d'onde. "Eu égard à son histoire politique, pour le Chili, la liberté d'expression est la règle d'or, a-t-elle déclaré à propos de RCTV. Notre rôle, à nous Chiliens, est de montrer que la voie choisie par le Chili est possible : se développer tout en assurant la justice sociale et en ayant un gouvernement démocratique."
En Amérique latine ou ailleurs, il n'y a pas de remède miracle au malaise de l'audiovisuel. L'aspiration à une démocratisation des médias suppose des réformes adoptées par le débat public et la négociation, la recherche du consensus étant la seule voie concevable dans une société démocratique sur un sujet aussi sensible. La généralisation des médiateurs contribuerait sans doute à retrouver la confiance du public.
Il n'en demeure pas moins que la réponse apportée par M. Chavez est la pire qui soit, car elle subordonne l'information et l'opinion au bon vouloir de l'Etat. "Là où l'Etat contrôle les médias, il n'y a plus de démocratie", estime à juste titre le professeur Pasquali. La fermeture de RCTV est un mauvais précédent. S'il venait à être imité, la gauche latino-américaine y perdrait son âme. Alors que ses militants ont payé le prix fort dans la lutte pour la démocratie, en devenant liberticide la gauche reviendrait aux vieux démons du socialisme autoritaire, toujours en vigueur à Cuba.
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