La libéralisation de l'avortement divise l'opinion
Au Mexique, la libéralisation de l'avortement divise l'opinion
L'Assemblée législative de Mexico, dans le centre de la capitale, est protégée par la police, en prévision d'un débat sur l'avortement, sujet sensible dans un pays où catholicisme et laïcité sont souvent entrés en conflit et où le scrutin présidentiel de 2006 a accentué la polarisation politique.Mardi 24 avril, les élus de Mexico examinent un projet de loi défendu par la gauche, qui propose de dépénaliser complètement l'interruption volontaire de grossesse (IVG), quand celle-ci est pratiquée durant les douze premières semaines de gestation.
Le Mexique n'a pas de loi unique sur l'avortement. Dans le "District fédéral", qui regroupe les 8 millions d'habitants de la capitale, l'IVG reste illégale sauf quand la femme a été victime d'un viol, que sa santé est en danger, quand le foetus souffre de graves malformations ou qu'il y a eu insémination artificielle non consentie.
Les autres Etats de la fédération mexicaine ont adopté des dispositions similaires, parfois dès les années 1930. Le Yucatan, un bastion de la droite catholique, est paradoxalement le seul à reconnaître les contraintes "socio-économiques" comme un motif légal.
Déposé par un élu du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI, centre), qui a gouverné le pays jusqu'en 2000 et reste attaché au principe de la laïcité, le nouveau texte envisageait d'abord d'introduire une cinquième clause dépénalisant l'IVG - lorsqu'une maternité non désirée risque de contrarier le "projet de vie de la femme".
Mais à l'initiative du Parti de la révolution démocratique (PRD, gauche), majoritaire au sein de l'Assemblée locale, il a été modifié dans le sens d'une dépénalisation jusqu'à treize semaines, l'avortement étant défini comme "l'interruption de la grossesse après la douzième semaine de gestation".
Le projet a été adopté, jeudi 19 avril, par les commissions de santé, justice et égalité des sexes de l'Assemblée avec l'aval du PRD, du PRI et de deux petites formations, Alternative social-démocrate et Panal, cette dernière appuyant le gouvernement du président Felipe Calderon. La formation présidentielle, le Parti d'action nationale (PAN, droite), souhaitait au contraire durcir la répression, avec des peines allant jusqu'à cinquante ans de prison.
Le vote des commissions donne une indication sur l'issue probable du débat en plénière. Mais un tel changement dans la définition de l'avortement - sans exemple en Amérique latine - peut aussi "rendre le texte plus vulnérable s'il est contesté devant la Cour suprême", observe la féministe Marta Lamas.
Or, même s'il perd la bataille à Mexico, où il n'a qu'une poignée de députés, le PAN est décidé à empêcher que la capitale ne serve d'exemple au reste du pays. Comme l'Eglise catholique, il a vivement protesté contre la "loi de vie en commun" (équivalent du pacte civil de solidarité, pacs) qui, depuis quelques mois, permet la légalisation des unions homosexuelles à Mexico et dans l'Etat de Coahuila (nord).
Le thème de l'avortement est crucial, à la veille de la cinquième conférence générale de l'épiscopat latino-américain, qui se déroulera au Brésil, en présence de Benoît XVI, au mois de mai. Le pape a envoyé une lettre au président de la conférence épiscopale mexicaine, dans laquelle il rappelle le devoir des croyants de s'opposer à la "culture de la mort". L'évêque du Chiapas compare, quant à lui, les partisans de la dépénalisation à Hitler.
"Avortez la loi, pas la vie", proclament des affiches et des spots télévisés financés par l'organisation Denme chance ("donnez-moi une chance"), paravent, selon le PRD, de grands entrepreneurs proches de l'Eglise, qui réclame un référendum. Selon l'épouse du président de la République, Margarita Zavala, l'avortement revient à "nier l'avenir".
Le camp adverse répond avec des listes de pétitionnaires et l'intervention à la télévision de Paulina, enceinte à 13 ans à la suite d'un viol, mais qui n'a jamais pu obtenir une IVG, un cas fréquent au Mexique selon un rapport de Human Rights Watch publié en mars 2006.
Plusieurs dizaines d'intellectuels - parmi lesquels les écrivains Carlos Fuentes, Elena Poniatowska et Carlos Monsivais, la biologiste Esther Orozco, les politologues Denise Dresser, Sergio Aguayo ou Maria Amparo Casar (une conseillère du président Calderon) - défendent, à travers le "droit à décider", l'un des "principes politiques d'une démocratie moderne pluraliste".
Pour Carlos Abascal, dirigeant du PAN et ténor de la droite catholique, on serait au contraire "devant le germe de la dictature", car, pour lui, libéraliser l'avortement "met la démocratie en danger de mort".
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