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Diego Rivera
Le monde
Le destin chaotique de deux oeuvres murales de Diego Rivera
Le tableau de Diego Rivera, "Glorieuse victoire", exposé au Palais des beaux-arts de Mexico, le 26 septembre 2007. AFP/LUIS ACOSTA |
Publié pendant un demi-siècle dans les sous-sols du musée Pouchkine de Moscou, un "mural transportable" de Diego Rivera (1886-1957) est la vedette de l'exposition que le Palais des beaux-arts de Mexico consacre, jusqu'en décembre, à l'épopée murale du peintre mexicain, cinquante ans après sa mort.
Glorieuse victoire est un tableau féroce du coup d'Etat organisé en 1954 au Guatemala au profit des intérêts américains. Il montre le pays asservi, des enfants massacrés, une Eglise complice, un groupe de militaires acceptant les dollars du secrétaire d'Etat John Foster Dulles et de son frère Allen Dulles, patron de la CIA.
Alors que le Guatemala vient d'élire son premier président de gauche depuis 1954, cette image aux couleurs préservées par une longue réclusion entre aussi en résonance avec les aventures militaires d'aujourd'hui : on croit voir des barils de pétrole à la place des régimes de bananes.
Roxana Velasquez, directrice du Musée des beaux-arts, et Americo Sanchez, l'un des commissaires de l'exposition, rappellent comment Rivera a inventé le "mural transportable", après la destruction de sa fresque new-yorkaise sur le devenir de l'humanité. Nelson Rockefeller, qui l'avait commandée pour la Radio City à Manhattan, l'avait ensuite rejetée à cause du portrait de Lénine qui y figurait.
POLITIQUEMENT INCORRECT
Reproduite au Mexique par l'artiste, elle est le fleuron du Palais des beaux-arts. Mais l'exposition présente aussi, pour la première fois au public, plusieurs des panneaux que le peintre avait offerts à la New Workers School de New York, dirigée par son ami Bertram Wolfe. Ceux-ci avaient été perdus ou dispersés dans des collections particulières, notamment celle de l'ancien président mexicain Luis Echeverria.
Ainsi La Nouvelle Liberté (1933) mêle des hommes-robots, des femmes enchaînées à leurs machines, des Noirs accusés de viol, les anarchistes Sacco et Vanzetti, avec, à l'arrière-plan, la statue de la Liberté. La critique du système américain était si virulente que même les marxistes de la New Workers School n'ont pas osé l'exhiber dans leurs locaux.
Un autre "mural" de Diego Rivera (en fait un tableau de 4,40 × 9,80 m), Cauchemar de guerre, rêve de paix, a, lui, mystérieusement disparu. Conçu par l'artiste sous le choc de la guerre de Corée, début 1952, il devait être montré en Europe. Mais il fut jugé politiquement incorrect par les autorités mexicaines parce qu'il présentait les Etats-Unis en Oncle Sam, la Grande-Bretagne en John Bull, et la France en Marianne, tandis que Staline et Mao dominaient la scène en super-champions de la paix.
Démonté par des fonctionnaires lors d'une opération nocturne au Palais des beaux-arts, il ne fut restitué qu'un an plus tard au peintre, qui le proposa à la Chine communiste. Mexico n'ayant pas encore établi de relations diplomatiques avec le régime de Pékin, la toile géante, enroulée dans un tube de métal et munie d'une documentation, partit en juillet 1953 vers la Tchécoslovaquie.
Là, sa trace se perd. Le Mexique a fait une démarche auprès de la Chine, mais la critique d'art Raquel Tibol est convaincue que l'oeuvre n'est jamais parvenue à Pékin. Une historienne allemande, Christina Burrus, affirme l'avoir vue à Moscou en 1999, sans jamais montrer la photo qu'elle en aurait prise. Interrogés lors de la visite du président Vladimir Poutine au Mexique, en 2004, les Russes ont répondu qu'ils ne l'avaient pas trouvée. Reverra-t-on un jour, tel un mammouth livré par le dégel sibérien, le couple Staline-Mao en jeunes premiers de la politique mondiale ?
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