Pour combien de temps?
La Cour suprême mexicaine se saisit de la crise d'Oaxaca
La Cour suprême du Mexique - plus haute instance judiciaire du pays - va se pencher sur le conflit d'Oaxaca. Par sept voix sur onze, lundi 18 juin, la Cour a décidé de créer une commission chargée d'examiner si des violations des garanties constitutionnelles ont été commises, par les autorités ou par des individus, durant la crise sociale et politique qui a secoué cet Etat du sud du Mexique où une partie de la population est entrée en rébellion contre son gouverneur, de mai à décembre 2006.
Le président de la Cour, Guillermo Ortiz, veut notamment déterminer si la passivité des autorités fédérales et de celles de l'Etat d'Oaxaca a pu aggraver le climat de violence. Un rapport de la Commission nationale des droits, publié le 24 mai, a déjà mis en cause la "responsabilité directe" du gouverneur Ulises Ruiz dans les affrontements qui ont fait au moins 12 morts, presque tous tués par une police parallèle. Aucun auteur de ces homicides n'a encore été traduit devant les tribunaux.
Le 14 juin, plusieurs dizaines de milliers de manifestants - 100 000 selon les organisateurs, 25 000 selon les autorités ont défilé dans les rues d'Oaxaca, la capitale de l'Etat, pour commémorer la victoire, un an plus tôt, des enseignants grévistes sur les forces de l'ordre, venues les déloger du centre historique où ils avaient installé leur campement. La brutalité policière avait fait basculer du côté de la rébellion tous les mécontents de la gestion de M. Ruiz, symbole de l'autoritarisme du vieux Parti révolutionnaire institutionnel, le PRI.
Quelques jours plus tard naissait l'Assemblée populaire des peuples d'Oaxaca, l'APPO, ensemble hétéroclite de forces syndicales, d'organisations civiques, de mouvements indigènes et de groupes d'extrême gauche, qui allait instaurer une sorte d'autogestion de la capitale et tenter d'obtenir la démission du gouverneur. Fin novembre et début décembre, une vague d'arrestations avait désarticulé le mouvement rebelle, dont une dizaine de militants sont toujours incarcérés. "Oaxaca n'est plus en flammes, mais elle brûle intérieurement. Il y a des blessures encore ouvertes, et un foyer qui peut exploser à tout moment", a averti l'un des magistrats - et ancien président - de la Cour suprême, Genaro Gongora.
Malgré les dénégations de M. Ruiz, qui assure que les défilés contestataires appartiennent au folklore local, le climat reste tendu dans la perspective de l'élection du congrès régional, début août, puis des municipales, en octobre. Lundi 18 juin, un différend agraire entre une communauté liée au PRI et une autre proche de l'extrême gauche a causé deux morts. L'intervention de la Cour suprême pourrait permettre une sortie par le haut d'un conflit qui risque de s'éterniser, voire de s'envenimer, en incitant le Sénat à se prononcer pour le départ de M. Ruiz, si la faillite morale et politique du gouverneur devait être sanctionnée par les magistrats.
L'une des sources de la crise d'Oaxaca, rappelle le chercheur David Recondo, du CERI, à Paris, réside en effet dans l'autonomisation croissante des gouverneurs par rapport au pouvoir fédéral, conséquence de la démocratisation du système mexicain, alors que le président, autrefois, limogeait à son gré un dirigeant impopulaire. La paralysie de l'instance fédérale a été accrue par le besoin du président conservateur, Felipe Calderon, de s'appuyer sur le PRI pour gouverner face à une gauche qui nie sa légitimité.
Comme M. Ruiz, un autre gouverneur "encombrant" du PRI, Mario Marin, a réussi jusqu'alors à se maintenir à la tête de l'Etat de Puebla malgré le scandale de son implication dans une machination contre la journaliste Lydia Cacho, auteur d'un livre sur les réseaux de prostitution infantile. En février 2006, des enregistrements de conversations téléphoniques ont révélé la complicité du gouverneur avec l'industriel Kamel Nacif, ami de Jean Succar Kuri, accusé de pédophilie. Tous deux ont voulu faire emprisonner et violenter la journaliste.
Or la Cour suprême vient de prendre position dans cette affaire : elle recommande que M. Marin soit "jugé politiquement" par le Congrès fédéral, et que les fonctionnaires qui se sont prêtés à la machination soient punis. "Enfin l'un des trois pouvoirs s'engage en faveur du changement démocratique et de l'intérêt public !", se réjouit le politologue Sergio Aguayo, pour qui l'indépendance croissante manifestée par les magistrats à l'égard des élites politiques et économiques est "une très bonne surprise". "La Cour va peut-être fixer une limite aux excès des gouverneurs", espère-t-il.
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