Entre Paris et Mexico, le sort de Florence Cassez
Officiellement, le sujet ne figure pas à l'agenda, et la relation entre les deux pays est censée être "sans nuage". Pourtant, le voyage au Mexique du président Nicolas Sarkozy et de son épouse, Carla Bruni - d'abord dans un cadre privé, du 6 au 8 mars, puis avec tout le faste d'une visite d'Etat, le lundi 9 mars -, sera marqué par les ombres et les lumières de l'affaire Florence Cassez.
Cette jeune Française a été lourdement condamnée par la justice mexicaine pour complicité avec une bande de malfaiteurs dans des enlèvements. Mais elle persiste, après plus de trois ans de détention, à clamer son innocence. Le 3 mars, le magistrat chargé de réviser le dossier en appel a réduit la sentence de 96 ans de réclusion, prononcée en mai 2008, à 60 ans.
La peine reste très sévère, même dans le contexte mexicain. En France, elle a suscité une tempête médiatique.
M. Sarkozy, qui a reçu jeudi le père de Florence Cassez et son avocat français, Franck Berton, se voit sommé d'endosser une nouvelle fois le rôle de libérateur qu'il avait joué en 2007, en faveur des infirmières bulgares et du médecin palestinien condamnés à mort en Libye.
Son homologue mexicain, Felipe Calderon, doit quant à lui ménager une opinion très sensible au fléau des enlèvements (8 000 par an et en hausse de 150 %, selon les autorités), mais aussi des alliés politiques importants.
Même si Paris se garde de parler d'erreur judiciaire, les défenseurs de Florence Cassez soulignent les inconsistances du dossier. Il y a d'abord son "arrestation", mise en scène par la police au profit des médias, le 9 décembre 2005, dans un ranch de la région de Mexico, alors que la jeune femme avait été arrêtée la veille sur une autoroute, avec son ancien fiancé, Israel Vallarta. Encore en attente d'être jugé, celui-ci est accusé d'une dizaine d'enlèvements et de deux assassinats. Selon ses premières déclarations, Florence Cassez ignorait ses activités criminelles.
"Il est grave que, dans un pays en train de construire sa démocratie, la justice commence à instruire un procès sur la base d'un mensonge", rappelle l'un des avocats mexicains, Agustin Acosta.
Les condamnations fondées sur des preuves falsifiées ou des aveux arrachés sous la contrainte, sont fréquentes au Mexique, surtout lorsque les accusés sont pauvres et indigènes. Plutôt que d'entamer des recours judiciaires, la fondation caritative du milliardaire Carlos Slim a tiré de prison des milliers d'entre eux en payant une caution.
Une des trois victimes libérées le 9 décembre 2005 avait incriminé la Française, assurant que celle-ci avait menacé de le mutiler et l'avait piqué au doigt. Mais à l'expertise, la trace d'une prétendue cicatrice de piqûre s'avérera être une tache de naissance. Les deux autres victimes, Cristina Rios et son fils de 11 ans, n'avaient alors pas reconnu Florence Cassez, malgré son physique européen et son accent.
Mère et fils ont modifié leur témoignage en février 2006, quelques jours après que Florence Cassez, lors d'une intervention téléphonique depuis sa prison, eut mis en difficulté le directeur de l'Agence fédérale d'investigation, Genaro Garcia Luna, au cours d'une émission de télévision en direct, en dénonçant certaines incohérences de l'accusation. Or M. Garcia Luna est devenu depuis le ministre de la sécurité publique, soit un acteur-clé de la bataille de M. Calderon contre le crime organisé.
Certains médias mexicains ont vivement réagi à ce qui est perçu comme une ingérence de la France. La chaîne Televisa, qui produit plus de 80 % des informations accessibles au grand public, a manipulé des archives afin de présenter la condamnée sous un jour défavorable. Le quotidien Reforma a publié vendredi à la "une", quelques heures avant l'arrivée de M. Sarkozy, l'appel de Cristina Rios : "Ne laissez pas partir celle qui m'a séquestrée !"
PURGER SA PEINE EN FRANCE
En page intérieure, un caricaturiste a représenté M. Sarkozy, accompagné de son épouse, en train de plaider en ces termes la cause de sa compatriote : "Jolie, étrangère, ambitieuse, sans scrupules et séduite par un amant voyou... c'est vraiment un délit ?", plaçant implicitement le président français au même niveau qu'Israel Vallarta.
Mme Rios, qui vit désormais aux Etats-Unis par crainte, dit-elle, de représailles des criminels, s'indigne de ce que Florence Cassez puisse purger sa peine en France, si elle renonçait à se pourvoir en cassation et demandait à être transférée en vertu de la convention du Conseil de l'Europe, signée par le Mexique. Mercredi, au cours d'entretiens accordés au Monde et à l'AFP, M. Calderon avait lui-même indiqué cette voie juridique, ce que Paris a salué comme un geste d'apaisement. L'Etat qui accueille le détenu rapatrié s'engage à poursuivre l'exécution de la condamnation, mais a aussi la latitude de la convertir par une procédure judiciaire ou administrative.
Cet épineux dossier devait être abordé dès dimanche soir, au cours d'une rencontre privée entre les deux couples présidentiels.
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