Ainsi, sur le site du Ministère des affaires étrangères, dans une « Mémorandum de la France au CAD (comité d’aide au développement) » daté du 24 janvier 2006, ces quelques paragraphes, sous l’intitulé « Soutenir le développement des systèmes judiciaires » :
« En synergie avec la politique d’amélioration de la justice de proximité [sic] dans les quartiers sensibles français, des projets pilotes sont développés (…) » – au Mexique et ailleurs.
« La France aide à mettre en place des services civils de police capables d’assurer démocratiquement la sécurité et la protection civile des populations, de maintenir l’ordre public et de préserver le fonctionnement des institutions dans le respect des libertés publiques et des droits de l’Homme [sic]. »
« Ces projets visent pour l’essentiel à mettre en place les moyens matériels et humains destinés à :
renforcer la capacité opérationnelle des services (…) ;
renforcer ou constituer des unités spécia-lisées dans le maintien de l’ordre selon des procédés conformes aux règles de l’État de droit (sic) ;
renforcer les services de police judiciaire (…). »
Interrogé sur le fait que, justement, cette coopération pose problème quant au respect des droits de l’Homme au Mexique, Jacques Chirac – encore Président de la République et pas encore repris de justice –, livrait son point de vue lors d’une conférence de presse donnée à Mexico, en novembre 1998.
Visite « d’État » à l’occasion de laquelle était signés l’accord de coopération policière au titre duquel les « experts » de la police française encadrent la répression des mouvements poplaires mexicains.
Un journaliste l’interroge :
« – Monsieur le Président, il y a des organismes et des groupements dans l’Union européenne qui veulent retarder l’accord de libre-échange avec le Mexique car ils consi-dèrent qu’ici on ne respecte pas les Droits de l’Homme : qu’en pensez-vous ? »
Réponse de Chirac :
« […] Nous connaissons bien cette affaire. Moi je ne suis pas, je crois, suspect d’intolérance à l’égard des peuples premiers. Chacun sait que j’aime et que je respecte leur civilisation. Donc j’essaie de voir les choses avec le maximum de sérénité. Je souhaite que les accords qui ont été passés en 1996 puissent se dérouler normalement, et j’ai cru comprendre que, prochainement, des négociations pourraient conduire à une solution qui soit respectueuse des droits de chacun dans ce problème concernant certaines populations du Chiapas. »
Quant à l’accord qu’il signait le jour même, pas un mot…
* * *
Pour comprendre un peu mieux, on dispose d’un rapport très instructif présenté à la suite d’une « Mission effectuée au Mexique du 20 au 28 février 1999 » par quelques représentants de la commission des affaires étrangères du Sénat. Y est abordée, entre autres, cette question de « la coopération franco-mexicaine dans les domaines des armées, de la police et de la justice ». Mais les sénateurs se donnent la peine de décrire « la relation bilatérale franco-mexicaine ». Celle-ci, précisent-ils d’emblée, « doit s’inscrire dans le contexte de la prééminence américaine au Mexique ». « Prééminence américaine » qu’il ne s’agirait donc nullement de remettre en cause – quoi que puissent en dire par ailleurs nos sénateurs. Quant aux relations franco-mexicaines proprement dite, les sénateurs apportent une bonne nouvelle : « Nos deux pays ne sont opposés par aucun contentieux bilatéral substantiel. » Ils révèlent au passage l’histoire méconnue d’un territoire français méconnu, l’île de la Passion, autrement nommée « atoll de Clipperton ». « Cet atoll de 7 km2, situé dans le Pacifique Nord à plus de 1 300 km des côtes mexicaines, est inhabité ». Mais « ses ressources économiques lui confèrent un certain intérêt »…
« Possession française depuis 1858 », l’île de la Passion aura été « revendiquée par le Mexique à partir de 1898 ». Après moult litiges depuis lors devant les cours internationales, le Mexique abandonnera finalement son « projet de recours à la Cour internationale de justice », en 1986. Il se trouve que cette même année 1986 « une délégation du SCTIP (service de coopération technique internationale de police) a été ouverte au Mexique », à l’initiative du mi-nistre de l’Intérieur de l’époque, Charles Pasqua, qui inaugurait ainsi la « coopération policière » ici dénoncée…
Les sénateurs soulignent nénmoins l’importance de la « visite d’État » de Jacques Chirac en novembre 1998, faisant suite à une semblable « visite d’État » du Président du Mexique en France en 1997. Il relèvent le fait que « le Président Chirac » aura « en particulier prononcé un discours devant les députés et les sénateurs mexicains, exceptionnellement réunis en Congrès » – ce qui n’est pas rien.
À l’occasion de cette visite que l’on pourrait sans grande exagération qualifier d’historique, Chirac aura signé « pas moins de treize accords et arrangements administratifs divers » – parmi lesquels l’accord de coopération policière ici dénoncé, ainsi qu’une « convention d’assistance judiciaire », et une « convention d’extradition ».
Pour marquer le coup, Chirac procédera au cours du même voyage à « l’inauguration de la “Casa de Francia”, le nouveau centre culturel français à Mexico » – qui aurait coûté la bagatelle de 21 millions de francs.
Ainsi les sénateurs peuvent conclure que « le dialogue politique bilatéral est donc de qualité », avant d’aborder la question sérieuse de « la coopération franco-mexicaine dans les domaines des armées, de la police et de la justice ».
Quant à l’armée, « les échanges entre les armées françaises et mexicaines » auront été marqués « par les escales régulières de la “Jeanne d’Arc” au Mexique ou du voilier-école “Cuauthemoc” en France ». Beaucoup plus signifiant, le « courant faible mais régulier d’officiers mexicains dans les écoles françaises (notamment le Collège interarmées de défense) ». C’est là que sont enseignées depuis un demi-siècle les subtilités de la « guerre révolutionnaire », ainsi que les théoriciens militaires français auront baptisé les méthodes contre-insurrectionnelles développées et mises en pratique en Indochine puis en Algérie avant d’être exportées dans le monde entier – et particulièrement en Amérique latine dans les années 70. [Voir à ce sujet le livre Marie-Monique Robin, Escadrons de la mort, l’école française, paru en 2004 à La Découverte – et le documentaire du même nom à l’origine de ce livre important, trouvable en DVD. Également très instructif sur l’histoire et les méthodes de cette « guerre révolutionnaire », Une guerre noire, Enquête sur les origines du génocide rwandais, de Gabriel Périès et David Servenay dont nous avons donné un compte-rendu extensif, trouvable sur lanuitrwandaise.net ]
Pour ce qui est de la « coopération active en matière de police et de justice », le Mexique serait très « intéressé » par la « coopération renforcée avec la France, dont l’image est particulièrement positive », et « dont l’efficacité est garantie par le fait qu’elle est mise le plus souvent en œuvre sur place » – par des « experts français » délégués à cet effet.
« Cette coopération dans le domaine de la sécurité publique a surtout reçu un nouvel élan à l’occasion de la récente visite d’État du Président de République, durant laquelle une déclaration conjointe et un accord de coopération technique ont été signés » spécifiquement à ce propos. Les sénateurs n’auront pas omis de relever que « ces textes revêtent une importance politique significative dans un secteur sensible ».
Ils remarquent aussi que la « portée économique » de ces accords de sécurité « est également substantielle ». Ils souligent à cet égard « la valeur des conditions financières proposées » par la France au Mexique.
Leur délégation se félicite d’avoir fait valoir « aux diverses autorités gouvernementales mexicaines compétentes », « la très grande qualité des systèmes et équipements français proposés », mais aussi « la valeur des conditions financières proposées ».
Abordant la question spécifique de la coopération policière, les sénateurs précisent que ces accords « permettent de donner une base juridique à une coopération opérationnelle et technique ». Mais ils notent qu’en plus de permettre « le développement de ces coopérations dans un pays considéré comme essentiel », « ils ont un impact sur la situation de sécurité intérieure française » – dans les « quartiers sensibles », comme on a vu.
* * *
Quant à cet « accord de coopération technique en matière de sécurité publique entre le gouvernement de la République française et le gouvernement des États Unis du Mexique » aux redoutables conséquences, c’est donc le 12 novembre 1998 que Chirac le signait en grandes pompes à Mexico. En découle un décret présidentiel, français, daté, lui de 2000 – contresigné par Lionel Jospin et Hubert Védrine… Extraits choisis :
« Soulignant combien il est important de favoriser les conditions légales, institutionnelles, administratives et éthiques [!] aptes à favoriser l’exercice de la mission des agents publics chargés de la sécurité publique (…) ;
« Considérant que l’information et l’échange d’expériences [comme celle de la torture en Algérie ?] contribueront à une meilleure efficacité des systèmes de sécurité publique (…) ;
« Le Gouvernement français apporte son soutien au Gouvernement mexicain sur les points suivants :
a) Il fournit des conseils pour élaborer des programmes de formation, de professionnalisation, d’actualisation et de spécialisation du personnel de sécurité publique (…) ainsi que des cours destinés à optimiser leur capa-cité d’action et de réponse dans les fonctions qui sont les leurs ;
b) Il établit des programmes pour former le personnel de sécurité publique [mexicain] (…) à l’accès et l’utilisation, le cas échéant, des signaux de satellite [en clair : les écoutes des communications téléphoniques captées par les satellites français Hélios et Syracuse] ; (…)
d) Il met en place, à l’intention des personnels les plus méritants [sic], des cours ou des programmes de formation et de spécialisation organisés en France ;
e) Il fournit le matériel et l’équipement nécessaires pour être utilisés et maniés par le personnel en formation [ce qui expliquerait la similitude de l’équipement des flics de la PFP avec celui de nos CRS et gardes mobiles] (…). Les actions prévues par le présent accord sont réalisées dans la limite des disponibilités budgétaires de chacune des parties [ce qui semble vouloir dire que l’essentiel de ce programme est à la charge de l’État français, les Mexicains souscrivant par ailleurs de juteux contrats pour leurs fournitures militaires auprès des marchands d’armes également français. D’un côté, c’est l’État qui paye, de l’autre, c’est Lagardère qui encaisse…].
« Le Gouvernement des États-Unis du Mexique se charge des actions suivantes :
a) Il partage éventuellement, selon ce que conviennent les Parties au cas par cas, les frais de transport de la France vers le Mexique et les frais de séjour des experts français [experts en terreur et manipulation] chargés des actions de formation et de spécia-lisation du personnel de sécurité publique mexicain [ainsi même les frais de transport et de séjour des spécialistes de la « guerre révolutionnaire » sont à la charge du contribuable français…] ;(…)
d) Il veille à ce que le personnel sélectionné et formé soit employé dans des fonctions qui correspondent à sa spécialisation. [Faut-il comprendre ici que les autorités françaises chercheraient à se prémunir par avance contre toute accusation génante, quand on sait que les membres de la PFP sont réputés pour être non seulement particulièrement corrompus, mais aussi pour participation active au trafic de drogues à grande échelle ?]
« Les actions visées [par cet accord] doivent être formalisées dans des projets spécifiques de coopération comportant les indications suivantes :
a) Justification ;
b) Objectif général (…) [Et l’on est en droit de se demander ici de quelle « justification » et de quel « objectif général » peut se prévaloir la politique criminelle mise en œuvre dans le cadre de cet accord.] »
À l’occasion d’une visite du mini-stre mexicain des Affaires étrangères, à Paris, le 9 octobre 2006, pendant la Commune de Oaxaca – peu avant sa répression en novembre, on apprenait que « sur le plan économique, les échanges commerciaux [entre la France et le Mexique] se sont accrus de 8 % en 2004 et de 9 % en 2005 ». On découvrait aussi que le « nouvel élan » donné ainsi aux relations franco-mexicaines se manifestait également par « une grande convergence de vues sur les questions internationales », notamment « au Conseil de sécurité lorsque Mexico y siégeait ». Ainsi la France se serait acheté, au prix du sang du peuple mexicain, une voix de plus au « gouvernement » des Nations unies…
Dans la droite ligne de ces illustres précédents, Nicolas Sarkozy – ministre de l’Intérieur pendant que la police française apportait l’assistance de ses « experts » pour réprimer les mouvements populaires mexicains à Atenco et à Oaxaca, en 2006 –, offre à l’actuel Président du Mexique, Felipe Calderon, d’ajouter à cette construction criminelle une « police scientifique » – grande spécialité française à l’âge de la biométrie et des nanotechnologies.