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«Pourquoi les Américains nous feraient-ils ce cadeau ?»
Par DéVRY ThomaAppuyé sur son râteau, Salvador sourit, révélant quelques trous dans sa denture. «Je n'y crois pas. Pourquoi nous feraient-ils ce cadeau ?», lance-t-il en espagnol, comme s'il partageait une bonne blague avec ses compagnons de travail. Face à lui, Stefano, qui continue de bêcher, semble plus hésitant : «Je ne sais pas, cela semble une bonne chose. Pour l'instant, nous n'avons rien. C'est peut-être l'occasion de ne plus être des illegales. »
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Pour Salvador, Stefano et consorts, jardiniers à la journée, immigrés équatoriens illégaux venus chercher pitance dans le New Jersey, pas facile de se faire une idée de la nouvelle législation (lire ci-contre). Alors que 535 représentants et sénateurs s'écharpent à Washington, 12 millions de latinos continuent de trimer en se demandant à quelle sauce ils vont être cuisinés. L'une, plutôt douce, qui leur offrirait le droit de rester au Etats-Unis, d'y travailler et de faire venir leur famille ; l'autre, amère, qui les contraindrait à rentrer chez eux pour demander la permission de revenir légalement, ou bien les pousserait à continuer de jouer au chat et à la souris avec les autorités. Probablement un mélange des deux.
Intenable. George W. Bush a beaucoup de défauts, mais il possède au moins une qualité : en tant qu'ancien gouverneur du Texas, il connaît bien la problématique de l'immigration, et c'est l'un des rares domaines dans lesquels il n'est pas d'un manichéisme sans bornes. Il a donc remis récemment sur le tapis, en partenariat avec une coalition de démocrates et de républicains modérés, une proposition de loi visant à clarifier et à apaiser une situation intenable pour les Etats-Unis. Au coeur de la discussion : une «amnistie» dont les modalités sont encore à définir pour les illégaux déjà dans le pays (4 % de la population totale), et un programme pour les travailleurs légaux, dont le pays a un besoin crucial.
Ces deux propositions ont soulevé un tollé à droite comme à gauche : un camp soutient que toute légalisation revient à récompenser des hors-la-loi, l'autre camp dénonce la création d'une classe permanente de sous-travailleurs dépendants du bon vouloir des autorités chargées d'accorder des visas. Au milieu de cet affrontement, des gens comme Salvador et Stefano.
Le premier a franchi la frontière il y a douze ans, le second il y a trois ans. Tous deux ont retrouvé de la famille dans le New Jersey, où, selon les statistiques officielles, un habitant sur dix-sept est un illégal. Ils auraient pu tomber plus mal. La ville où ils résident, Hightown, à une cinquantaine de kilomètres de New York, fait partie de la vingtaine de «cités sanctuaires» aux Etats-Unis qui a décidé ne plus faire la chasse aux sans-papiers. «Tant qu'ils ne sont pas soupçonnés d'avoir commis un crime ou un délit, nous ne leur demandons jamais leurs papiers», explique l'assistant du maire, Robert Patten, un républicain pur sucre. Cette décision tranche radicalement avec celle de plusieurs autres édiles du New Jersey qui, eux, ont décidé de lancer la police municipale sur les traces des illégaux. «Nous n'avons aucune envie de pourchasser des gens qui, pour la plupart, ne cherchent qu'à gagner leur vie tranquillement et qui ont contribué à revitaliser notre petite commune.»
Amende. Avec ses cottages anglais et son centre-ville si typique de l'Amérique du XIXe siècle, Hightown était une ville qui dépérissait. Mais l'afflux depuis dix ans de 1 300 Latinos, principalement des Equatoriens, a redonné un coup de fouet à cette bourgade qui compte à peine plus de 5 000 résidents. Aujourd'hui, des magasins ont rouvert, intégrant quelques épiceries sud-américaines et des centres d'appels pour communiquer avec le pays.
Maria, arrivé aux Etats-Unis à 5 ans, tient un de ces commerces qui proposent des téléconférences avec le Sud lointain : «Ce pays est bâti sur l'immigration. Pourquoi refuser aux nouveaux arrivants ce qui a été accepté pour les Allemands, les Irlandais, les Juifs d'Europe centrale ? Parce que nous sommes moins blancs que les autres ?» Cette position est celle des associations pro-immigration, mais aussi de la majorité des petits entrepreneurs souvent républicains qui ne cachent pas leur besoin d'une main-d'oeuvre peu qualifiée et peu coûteuse.
Appel d'air. Tous les matins, Pedro, un Mexicain, poireaute devant le grand magasin de bricolage de la ville, attendant qu'on vienne le chercher pour être embauché sur un chantier. Il gagne aux alentours de 200 dollars par semaine, bien moins qu'un ouvrier légal, mais «c'est toujours mieux que ce [qu'il avait] à Oaxaca», sa région d'origine au Mexique. Pourtant, il aimerait bien ne plus avoir à craindre la déportation. «J'ai lu tout ce que j'ai trouvé sur la proposition de loi en discussion : il y a des choses que j'aime bien, comme la possibilité d'obtenir un permis de travail, mais il y en a d'autres qui me semblent très difficiles.» Notamment l'amende de 5 000 dollars que les illégaux devraient acquitter comme rançon de leur intégration. «C'est trop cher, s'exclame Pedro, avant de réfléchir. En même temps, c'est moins que ce que demandent les polleros, les passeurs.» L'autre obstacle est la nécessité, pour le chef de famille, de retourner dans son pays avant de revenir avec le sésame qui lui donnera le droit d'y rester avec les siens et d'y travailler. «S'ils imaginent que je vais laisser ma femme et mes enfants, et les croire sur parole que je pourrais revenir, ils se trompent !» s'insurge-t-il.
En 1986, Ronald Reagan avait déjà offert une amnistie à près de 3 millions de sans-papiers. Résultat ? Les nouveaux résidents s'étaient empressés de lâcher leur job de misère pour trouver des emplois mieux payés, créant un appel d'air pour une nouvelle vague d'immigrés illégaux. Aujourd'hui, Bush et le Congrès tentent de régler une nouvelle fois le problème, en mélangeant tolérance et autoritarisme. Même s'ils y parviennent, la solution ne sera que temporaire. Car, comme le déclare Salvador, toujours appuyé sur son râteau : «Les Américains auront toujours besoin de quelqu'un comme moi pour faire leur boulot. Mal payé, invisible, jetable, je suis le travailleur idéal"
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