On parle encore du Mexique
Ciudad Juarez, ville frontière d’une extrême violence
RFIDepuis le 1er janvier 2008, la guerre entre les cartels de la drogue à Ciudad Juarez a fait plus de 400 morts, dépassant largement le chiffre symbolique des 368 femmes mystérieusement assassinées depuis 1993. La ville frontière vit dans l’angoisse et la terreur. La police, l’armée, les troupes de choc sillonnent la ville dans leurs engins blindés sans parvenir à mettre un terme à cette violence.
Dans plusieurs endroits de la ville, comme ici dans le « champ des cotonniers », des croix roses rappellent les meurtres des femmes de Ciudad Juarez
( Photo : Patrice Gouy/RFI
Patrice Gouy
Dès l’arrivée à l’aéroport de Ciudad Juarez, le ton est donné, avec la fouille minutieuse des bagages par une dizaine de soldats fortement armés. Plus que la drogue, ce sont les armes qu’ils recherchent. Passées les dernières portes vitrées de l’aéroport, on a le souffle coupé, d’abord par un vent chaud qui dessèche - le thermomètre annonce 43 º avec un vent à 60 km/h - mais surtout par le déploiement policier, qui montre clairement que l’on est dans une ville assiégée. Il ne se passe pas une journée sans fusillade, et les 1,3 millions d’habitants de Ciudad Juarez ont peur. Selon le journal local El Mexicano, les règlements de compte à Ciudad Juarez ont fait plus de 400 morts depuis le début de l’année : pratiquement 2 meurtres par jour !
Chacun prend ses précaution pour éviter le drame
Dans les rues, le matin, les mères de famille ne laissent plus leurs enfants aller à l’école tous seuls. Dans l’après midi, les adolescents ne jouent plus au football dans la rue et les personnes âgées ne discutent plus sur la pas de leur porte. Il n’y a qu’à remonter l’avenue Juarez où se trouvent les bistrots, les restaurants, les boites de nuit et les commerces, pour voir que Ciudad Juarez, qui grouille normalement de monde, est une ville morte. Les gens riches ont passé la frontière et vivent à El Paso. Plus personne ne s’attarde dans les rues. Les passants sont attentifs, prêts à se jeter au sol au moindre coup de feu. La semaine dernière, deux chauffeurs de taxi ont été mortellement atteints par des balles perdues, alors qu’ils attendaient l’improbable client. Un peu partout, les gens indiquent aux curieux les impacts de balles sur les rideaux métalliques ou les vitrines des boutiques. La violence est telle que le photographe du journal El Norte qui nous accompagne, nous assure cyniquement que si l’on a raté la fusillade du matin, il y a celle de l’après midi voire celle du soir.
Effectivement, ce mardi matin, une fusillade a fait 3 morts, à 16 heures, une poursuite infernale a fait 6 autres morts dont une jeune femme enceinte qui passait par là et lorsque nous regagnions notre hôtel, le scanner de la police faisait état d’un meurtre devant la cathédrale.
Des cartels plus puissants que l’Etat
Depuis plusieurs mois, le cartel du Sinaloa, dirigé par Joaquin El Chapo Guzman et considéré comme l’organisation criminelle la plus dangereuse du Mexique, veut s’approprier le territoire du Chihuahua que contrôle le cartel de La Linea. Les règlements de compte se font en plein jour, au cœur de la ville, pour impressionner la population et faire un pied de nez à la police et à l’armée. L’avenue du Triomphe de la République, la principale artère de la ville, a été rebaptisée par les habitants l’avenue du Triomphe des Narcos, à cause des multiples fusillades qui se sont déroulées à quelques centaines de mètres du commissariat principal. Les cartels n’hésitent pas à signer leurs forfaits du nom de leur chef, ou à laisser ce que l’on appelle des « narco-messages » qui accompagnent la tête décapitée de leurs victimes. Selon l’anti-drogue mexicaine, El Chapo gagnerait 200 millions de dollars par mois, 10 % servirait à corrompre les autorités. « Les criminels agissent où bon leur semble, explique Jaime Torres, le porte parole de la Sécurité Publique de la ville, la police ne peut pas faire grand-chose car c’est un règlement de compte entre bandes rivales extrêmement sanguinaires. La tâche des policiers est donc de patrouiller dans les quartiers problématiques, pour éviter que la petite délinquance ne profite de l’insécurité pour commettre plus de délits ».
La peur des plus pauvres
Lors d’une sortie avec la police dans un quartier populaire, 2 personnes ont été interpellées pour possession d’héroïne. Après admonestation, elles ont été finalement relâchées, les policiers nous expliquant que de tels délits ne sont pas retenus par le Ministère public, qui a d’autres chats à fouetter... Dans ces quartiers poussiéreux, non goudronnés, construits sur l’ancienne décharge municipale, vivent dans des maisons de cartons, où l’on étouffe l’été et où l’on gèle l’hiver, des milliers de personnes. Ce sont les employés des fameuses « maquiladoras », ces usines de montage reines de la délocalisation mondiale. Elles emploient un personnel essentiellement féminin qui travaille de 8 à 10 heures par jour pour un salaire de misère, entre 3 et 5 euros). Dans ces quartiers, la peur est omniprésente car les habitants doivent affronter les narcos, les voleurs et les policiers. « L’insécurité est totale, nous dit Elvira, j’ai peur pour mes filles qui ont été plusieurs fois suivies par une voiture grise. Elles doivent marcher 20 minutes a 5 heures du matin dans la nuit pour rejoindre le bus de la « maquiladora » et autant le soir lorsqu’elles reviennent. C’est une angoisse permanente. » Le syndrome des 368 femmes assassinées est toujours très présent. Partout dans la ville, des croix roses rappellent les meurtres impunis.
Ces crimes jamais élucidés
Pour Nohemi Almada, directrice du Programme de prévention de la violence contre les femmes, les choses ont beaucoup évolué. Des recherches ADN ont été effectuées pour déterminer à quelles familles remettre les ossements retrouvés dans les terrains vagues de la ville. Mais elle reste silencieuse sur la responsabilité des autorités, très corrompues. Les auteurs de ces assassinats multiples courent toujours, et les pressions sur les mères des filles disparues continuent. Marisela Ortiz, qui dénonce depuis des années à travers son ONG Nuestras hijas de regreso a casa (Nos filles de retour à la maison) les exactions de la police, des autorités judiciaires et municipales, vient de recevoir de nouvelles menaces de mort. Cette fois-ci parce qu'elle a « nui à l’image de Ciudad Juarez » en ayant donné des conseils à l’actrice américaine Jennifer Lopez, qui a tourné un film, avec Antonio Banderas, sur les mortes de Ciudad Juarez.
Le président Felipe Calderon a lancé le Plan Chihuahua pour rendre à la population sa tranquillité. Les 2 500 soldats déployés dans la ville présentent régulièrement prisonniers, arsenal et drogue confisquée, mais leurs résultats semblent insignifiants par rapport à la violence qui ne cède pas d’un pouce.
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